Crise du karité en Afrique de l'Ouest : tensions sur un marché stratégique
La filière du karité traverse une période de turbulences sans précédent en Afrique de l'Ouest. Cette situation illustre les défis auxquels font face les économies africaines dans la valorisation de leurs ressources naturelles et souligne l'importance d'une coopération régionale renforcée.
Une stratégie de transformation locale qui bouleverse les équilibres
En 2024, le Mali et le Burkina Faso, respectivement deuxième et troisième producteurs mondiaux de karité, ont pris la décision stratégique de suspendre l'exportation de leurs amandes brutes. Cette mesure vise à privilégier l'approvisionnement de leurs unités de transformation locales, dans une logique de valorisation de leur production nationale.
Cette approche s'inscrit dans une démarche de développement économique endogène, permettant aux pays producteurs de capturer une plus grande valeur ajoutée de leurs ressources naturelles. La Côte d'Ivoire a d'ailleurs adopté une stratégie similaire en janvier, suspendant à son tour ses exportations d'amandes.
Impact sur les marchés régionaux
La Côte d'Ivoire, dont la production demeure modeste et concentrée dans les régions septentrionales, compensait traditionnellement son déficit en s'approvisionnant auprès de ses voisins malien et burkinabé. Cette nouvelle donne a créé des tensions d'approvisionnement significatives.
Souleymane Sangaré, acheteur au marché de Korhogo et vice-président du réseau ivoirien de karité, témoigne de cette réalité : "En temps normal, j'ai entre 3.500 et 4.000 tonnes d'amandes par campagne. Cette année je n'ai même pas pu avoir 500 tonnes deux mois après le début de la campagne."
Une filière aux enjeux multiples
Le karité, arbre emblématique des savanes africaines, représente bien plus qu'une simple culture. Ses fruits renferment une amande précieuse que les femmes ramassent et transforment en beurre, produit essentiel pour les soins corporels et l'industrie agroalimentaire internationale.
Selon les données du ministère ivoirien de l'Agriculture, au moins 152.000 femmes vivent directement de cette filière dans les zones de production. Cette dimension sociale confère au karité un rôle crucial dans l'autonomisation économique féminine en milieu rural.
Dynamiques de prix et perspectives
La conjonction de plusieurs facteurs a contribué à tendre le marché ouest-africain. Outre les suspensions d'exportation du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire, le Togo et le Nigeria ont également interrompu leurs exportations d'amandes brutes. Le Ghana prévoit quant à lui une interdiction progressive de ses exportations en 2026.
Cette situation, combinée à une forte demande internationale stimulée par l'utilisation du beurre de karité comme alternative économique au beurre de cacao, a provoqué une hausse significative des prix. En Côte d'Ivoire, le prix minimum bord champ est passé de 250 FCFA/kg à 350 FCFA/kg.
Vers une régulation renforcée
Face à ces défis, le gouvernement ivoirien a placé la filière karité sous la régulation du Conseil coton anacarde en avril. Cette mesure vise à identifier les acteurs, résoudre les problèmes de commercialisation et disposer de statistiques fiables sur la production.
Cette crise du karité illustre parfaitement les enjeux de la transformation structurelle des économies africaines et l'importance d'une approche coordonnée au niveau régional pour optimiser la valorisation des ressources naturelles du continent.