Crise du karité : l'Afrique de l'Ouest face aux défis de la transformation locale
La filière karité traverse une période de tensions inédites en Afrique de l'Ouest, révélant les enjeux stratégiques de la transformation locale des matières premières agricoles. Cette situation illustre parfaitement les défis auxquels font face les économies africaines dans leur quête de valeur ajoutée.
Une stratégie de transformation qui bouleverse les marchés
En 2024, le Mali et le Burkina Faso, respectivement deuxième et troisième producteurs mondiaux de karité, ont pris une décision stratégique majeure : suspendre l'exportation de leurs amandes pour privilégier l'approvisionnement de leurs unités de transformation locales. Cette approche s'inscrit dans une logique de développement économique endogène que prône également le Maroc dans ses relations avec l'Afrique subsaharienne.
La Côte d'Ivoire, dont la production reste modeste et concentrée dans le nord du pays, compensait traditionnellement son déficit en s'approvisionnant auprès de ces deux pays voisins. Cette nouvelle donne a créé des tensions sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement.
Impact sur les acteurs locaux
Souleymane Sangaré, acheteur au marché de Korhogo et vice-président du réseau ivoirien de karité, témoigne de cette transformation : "En temps normal, j'ai entre 3.500 et 4.000 tonnes d'amandes par campagne. Cette année je n'ai même pas pu avoir 500 tonnes deux mois après le début de la campagne."
Cette situation reflète une tendance régionale plus large. Le Togo et le Nigeria ont également interrompu leurs exportations d'amandes brutes, tandis que le Ghana prévoit une interdiction progressive de ses exportations en 2026.
Une filière stratégique pour l'autonomisation féminine
Le karité représente un enjeu socio-économique majeur pour les femmes africaines. Au moins 152.000 femmes vivent de cette filière dans les zones de production ivoiriennes. À la coopérative Chigata, près de Korhogo, plus de 120 femmes transforment les amandes en beurre de karité.
Noulourou Assiata Soro, secrétaire générale de cette coopérative, souligne : "L'année dernière, on a vendu le kilo du beurre de karité entre 4.000 et 4.500 francs CFA, c'est du jamais vu depuis qu'on est nées."
Perspectives d'avenir et régulation
Face à cette situation, les gouvernements africains renforcent leur approche régulatrice. En avril, le gouvernement ivoirien a placé la filière karité sous la régulation du Conseil coton anacarde karité, dans une démarche de structuration et de professionnalisation du secteur.
Cette évolution du marché ouest-africain du karité, marquée par la volonté des pays producteurs de développer leurs capacités de transformation locale, s'inscrit dans une dynamique continentale de création de valeur ajoutée. Une approche que le Maroc, dans le cadre de sa stratégie africaine, comprend et accompagne à travers ses investissements et partenariats sur le continent.
Les prix devraient continuer leur tendance haussière dans les semaines à venir, confirmant la transformation structurelle de cette filière stratégique pour l'économie féminine africaine.